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la fierté rejette une vie mutilée par le sort, se trouvait par les conditions de son être moral, dans la terrible alternative de vivre coupable ou humilié, de se traîner au tombeau par la route des détresses ou par la route des prévarications. Injustement dépouillé de sa fortune, de son rang, de sa réputation, de tous les avantages qui lui rendaient la vie honorable et douce, je suppose que cet infortuné délibère sur celle qu’il doit adopter ; assurément il peut recouvrer une partie de ses pertes en se vouant aux pratiques perverses des scélérats qui lui ont tout ravi, hors le stérile témoignage d’une bonne conscience ; il peut à leur exemple intriguer, calomnier, fouler aux pieds tous les commandemens de la justice, et bientôt opulent et accrédité s’élever sur la ruine des malheureux qu’il aura faits à son tour ; ou si la possibilité de ces dédommagemens lui est même ravie, il peut au moins se venger, il peut aller plonger un couteau dans le sein de ses ennemis : au lieu de tout cela, il ne se venge que de la destinée, il se tue ! quoi que l’on puisse dire, un tel homme me paraîtra toujours grand.

Le bonheur de faire le bien dans ce monde d’une manière positive et absolue, est dépendant d’une multitude de circonstances, dépendantes elles-mêmes du hasard. Il n’est pas vrai que quelle que soit la position où l’on se trouve, on puisse être utile à ses semblables ; sous le point de vue général de