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riches, puis la misère abrutissante et féroce des prolétaires, que l’on renonce à cette complication d’agens corrosifs et destructeurs de la vie, après il pourra être permis de dire aux hommes, de par Dieu et les lois : vous ne vous tuerez plus. En un mot, multipliez les moyens de morale et de bonheur, et le sentiment impérieux qui attache l’homme à son existence reprendra toute sa native énergie.

Dans l’état actuel des choses, le monde présente le spectacle d’une immense arène, où les hommes se précipitent en foule pour se disputer, au prix de leur sang, de leurs douleurs et de leur honte, la possession des avantages sociaux. Eh bien ! celui que repousse et indigne la vue d’un pareil champ de bataille, et qui se trouve enrôlé malgré lui ; qui ne veut être ni oppresseur ni victime, et qui ne craint pas moins une odieuse et inhumaine victoire, qu’une humiliante défaite, ne pourra-t-il pas se précipiter en dehors du cirque, et disposer de lui, pour qu’un hasard sinistre et flétrissant n’en dispose pas ! En se retirant, en abdiquant sa part du butin, en jetant ses armes, ne diminue-t-il pas la masse des prétentions universelles, et en même temps l’ardeur féroce des concurrens ? S’il était imité par le plus grand nombre, le carnage ne serait-il pas infiniment moins grand ? quand la famine presse une ville assiégée, celui qui se donne la mort, parce qu’il se voit inutile à sa défense, et onéreux à la subsistance