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extrêmes et des passions violentes, il est naturel qu’il prenne le caractère qui distingue les dispositions de l’âme dans un état de tranquillité. Tel est celui qui n’est provoqué que par de l’ennui, de la lassitude, de la satiété.

Or, à quoi peut servir un homme qui n’est plus bon pour soi ! Si la douleur a brisé le ressort moral, ou si l’abus de toutes choses en a détruit le jeu, prétendre renouveler un homme par l’attrait des actions vertueuses, c’est vouloir ranimer un asphyxié en lui faisant respirer les parfums les plus doux, tandis que les sels les plus irritans et les acides les plus caustiques peuvent seuls constater l’existence d’un reste de sensibilité.

Laissons de côté ces excès hideux qui flétrissent le moral de l’homme et le déshonorent en l’affaiblissant. N’expérimentons que sur des sujets d’élite, ne prenons que de vertueux infortunés, ceux dont le remords n’envenime pas les souffrances.

Mais la douleur déprave aussi ; et ce genre de dépravation est d’autant plus à craindre que celui qui gémit sous son atteinte a un plus vif sentiment de son innocence. Cette affreuse opposition entre ses droits au bonheur et le sort qui l’accable ; l’aspect de cette lutte prolongée où l’innocence, loin de suffire pour la victoire, semble un titre de plus à la défaite ; cet horrible et pourtant si commun renversement de toutes les notions d’ordre et de