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de ces grandes vérités qui servent de fondement à la vie sociale et aux meilleures institutions.

Soit dit pour toutes les fois que je m’aviserai d’aller sur les brisées d’un autre, ou de joûter contre plus fort que moi.

De tous les argumens plus ou moins spécieux contre le suicide que Rousseau a pulvérisés, je ne prétends en examiner qu’un seul, celui qui consiste à imputer à crime, à l’homme qui se tue, la privation de tout le bien qu’il aurait pu faire en restant au poste que la Providence lui avait assigné.

Assurément, l’homme qui se tue est ou se croit bien malheureux ; car nul ne renonce au bienfait de la vie qu’à toute extrémité, et lorsque ce bienfait est entièrement dénaturé par la malignité du sort ; que si quelques hommes ont paru se donner la mort avec une certaine puissance de sang-froid et de facilité, c’est apparemment qu’ils avaient eu la sagesse de se préparer de longue main par le secours de la réflexion et de la philosophie, à s’acquitter de ce dernier acte avec noblesse et dignité, et même avec je ne sais quel bon goût qui ne doit jamais être exclu de l’accomplissement des actions les plus fières, les plus terribles, et dont il me semble que les anciens avaient parfaitement le secret. Je n’ai pas besoin, au surplus, de faire observer que comme le suicide n’a pas toujours pour motifs des situations