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nombre de croyants, que de gagner deux ou trois millions d’hypocrites ! » — «  « Bon ! » lui répondit le jésuite ; « qu’importe ce que ces gens-là croient dans le fond de l’âme, pourvu que le roi soit persuadé de leur conversion, et qu’ils assistent à la messe ? Vous sentez bien qu’on ne doute point que ce ne soient là des convertis de mauvaise foi, et peut-être le roi lui-même en sait-il quelque chose. La plupart, il est vrai, ne se sont convertis que par force[1] ou par égard humain ; mais enfin, ils sont dans le bercail ; nous avons

  1. Ce jésuite parlait comme sa Société. Le jésuite Bourdaloue disait, dans une exhortation sur la charité envers les nouveaux convertis : « Or, ne savez-vous pas, Mesdames, que c’est là le péril où se trouvent une infinité de pauvres à demi convertis : je dis à demi convertis, car, malgré toutes les démonstrations extérieures et toutes les paroles qu’ils ont données, nous ne devons pas supposer qu’à leur égard tout soit déjà fait, et nous devons plutôt supposer que tout soit encore à faire. En effet, plusieurs ne se sont soumis que par force, et, catholiques au dehors, ne le sont guère dans le cœur. »

    L’oratorien Massillon s’exprimait en chaire avec la même sincérité : « C’est à vous maintenant, Seigneur, à changer le dedans, à ramener les cours, à éclairer les esprits qui, peut-être n’ont plié que sous le bras de l’homme, afin que, non seulement, il n’y ait plus qu’un bercail et un pasteur, mais même qu’un cœur et qu’une âme dans votre Église » (Carême de Massillon. Sermon sur le véritable culte).

    C’est comme s’ils avaient dit : « Seigneur, nous les avons contraints d’entrer, nous avons porté la mort dans le sein de trois cent mille familles, nous avons porté un coup irréparable à l’État ; mais les voilà dans le bercail. Il ne reste plus rien à faire que de les convertir ; c’est de vous seul, nous en convenons, que dépend cet ouvrage ! »