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les dépaysés

EN MARGE DE LA VIE DES ERMITES


Sévérius, à vingt-trois ans, partit. Des voix l’appelaient dans la solitude pour vaquer à sa perfection que les bruits du siècle entravaient. Pendant plusieurs jours il chemina, s’enfonçant plus loin dans des retraites éperdues de tranquillité. Il franchit des collines où le soleil tissait des enchevêtrements ajourés, traversa des plaines angoissées de silence et parvint au pied d’une haute montagne. Les âges insouciants y avaient aménagé une grotte aux parois grises et rugueuses.

Sévérius s’y arrêta. Des messages lui dirent que c’était l’endroit. Son âme y entra en méditation et y demeura fixée pendant soixante ans. Il caressa, retourna, rongea la pensée du néant de la vie. Dans le calme tumultueux aux creux des jours multiples, il se tint en face de la même pensée. Jamais las de haïr la vie, il recommençait sans cesse. L’horreur des choses créées l’enivra. Ses yeux se fermaient en plissements plombés, à l’éclat des aurores, aux fleurs ourlées de lumière. Il détournait avec mépris sa tête livide des clartés du jour. Lorsque la mousse odorante et les petites violettes, contentes de trouver un être humain à qui elles pussent plaire, laissaient monter vers lui la senteur de leurs feuilles, il s’enfuyait, hagard, dans sa caverne pour y respirer la moisissure du temps. Une petite source lumineuse coulait, désireuse de faire communier les hommes à sa fraîcheur. Sévérius, pendant soixante