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les dépaysés

La conversation dévia. Il me parla des diverses écoles et de leurs disputes. Il m’avoua, avec beaucoup de raison, que parquer les auteurs dans telle ou telle école comme le font les manuels était arbitraire. Sainte-Beuve a dit très bien qu’un classique est celui qui par sa manière de penser profonde, exprimée dans un style qui est le sien propre et celui de tout le monde, a enrichi la langue française d’une façon quelconque. Cette définition, si elle est juste, et elle semble l’être, abolit toutes les écoles.

Tout en causant, nous arrivons aux édifices de Harvard. Il me les montre avec fierté.

« Ne pensez-vous pas, me dit-il, que nous avons trop d’universités, de collèges et d’écoles de toutes sortes ? On veut faire des savants de tout le monde et on ne fait que des insatisfaits et des mécontents. Songez donc à l’armée des diplômés que nos universités jettent chaque année sur le pavé. Ne vaudrait-il pas mieux leur enseigner à vivre heureux par le travail manuel ? »

Je me demande, pendant que mon ami parle, si réellement on peut enseigner à vivre heureux. Le bonheur me semble un état inconscient. À force de le vouloir, d’en parler, d’y penser, on finit par le dissiper. Il est comme l’humilité, on la perd quand on croit la posséder.

Ce que je viens d’entendre corrobore un article, que j’ai lu récemment, dans lequel le docteur Pritchett, de l’Institut Carnegie, déclare qu’il n’y a pas d’équilibre entre l’effort et l’argent dépensé pour l’éducation et le résultat obtenu. Les États-Unis s’aperçoivent-ils qu’ils ont lancé l’éducation dans une fausse route et cherchent-ils déjà à faire machine en arrière ?