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les dépaysés

« Je me sens mieux. Je me lèverai demain et commencerai à filer de la laine pour faire un gilet pour Paul. Il reviendra cet hiver et il aura besoin d’un gilet chaud. »

Il la regardait avec attendrissement et ajoutait : « En effet, il sera bien content. »

Elle languit ainsi tout le mois d’octobre au bord de l’enfance avec des moments de lucidité extraordinaire. À la fin du mois, on reçut une dépêche des autorités militaires annonçant que Paul avait été sérieusement blessé. On voulut cacher la fatale nouvelle à la malade, mais habituée aux lettres régulières, elle commençait de s’inquiéter. Ses craintes prirent des proportions alarmantes au point qu’elle exagérait quelqu’accident qu’elle pressentait d’une façon morbide. Elle s’imaginait qu’il était agonisant, seul, sur un champ de bataille, pendant de longues heures, sans que personne ne vînt à son secours, ou encore qu’il était mort dans les plus atroces souffrances, sans soins, loin de sa mère et de son père. Ces imaginations macabres la jetaient en une si grande détresse qu’il fallut lui dire toute la vérité, moins terrible. Elle se contenta d’ajouter :

« J’avais pourtant bien prié et bien espéré, » et tomba dans un marasme complet.

À deux semaines de la dépêche, on reçut une lettre de la garde-malade qui soignait Paul. Cette lettre disait en termes qui cherchaient à être discrets que l’état du jeune homme était très grave et ne laissait guère d’espoir. Une fièvre maligne semblait vouloir se déclarer. On n’en parla pas à la vieille mère. Mais le soir du même jour, un soir de pluie lente, elle fut prise de défaillance. On appela des voisins. On passa toute la soirée près du lit de la mourante. Son