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les dépaysés

portait au baptême, et plusieurs générations d’hommes et de femmes qu’on emportait dans un cercueil au cimetière. Combien d’enfants, parmi lesquels était Paul, étaient venus jouer sur elle. Et l’hiver elle s’encapuchonnait de neige. Mais ce départ était le plus triste de tous. C’est pourquoi la mère comprit que la pierre s’attendrissait aussi.

Le père revint seul. La séparation entre lui et son fils s’était passée comme se passent ces sortes de séparation entre hommes de leur classe, sans démonstration bruyante. Le vieillard détela la voiture, alla mener le cheval au clos, besogne qu’on ne lui eût pas laissé faire si Paul avait été là. Il se sentit éperdûment seul à la fin d’une longue vie, tandis que la ferme de tous les siens vallonnait au loin et réclamait un amant jeune et robuste.

Les premières semaines s’écoulèrent lentes et désolées. Le foyer était vide et la maison déserte. Quelquefois, le père ou la mère se trompaient ; ils disaient Paul et se retournaient la tête dans la pudeur de leur chagrin.

Le temps était magnifique, entremêlé de pluies bienfaisantes. Des champs semés, mille feuilles d’un vert tendre jaillissaient et se disaient entre elles : « Que c’est bon de naître ». Les foins, eux, étaient abondants et touffus. Les trèfles commençaient à fleurir. Ces floraisons odorantes attiraient de gros bourdons ventrus qui arrivaient on ne sait d’où dans un nimbe de musique et d’or fluide. Ils se plongeaient dans les grappes de trèfles pour se rafraîchir de leur longue course. Et dans le fouillis de mille petites plantes, vivaient, aimaient, et travaillaient toutes sortes d’insectes, dont quelques-uns avaient des yeux énormes, d’autres des ailes plus légères que la gaze,