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les dépaysés


L’ATTENTE


Jeanne était née dans la maison blanche d’une ferme qu’on s’était léguée de père en fils depuis plusieurs générations. Ses yeux s’étaient ouverts sur des prairies verdoyantes. Elle avait appris à connaître tous les secrets, les pentes, les collines et les retraites de cette ferme qui vallonnait de loin en loin. Toute jeune, elle en avait parcouru tous les sentiers, exploré toutes les cachettes, en avait connu chaque arbre et chaque pierre. Tout cela lui parlait un langage qu’elle comprenait et auquel elle répondait de toute l’ardeur de sa jeunesse. Les champs, les chemins, les forêts avaient fini par prendre pour elle une personnalité à part.

Au cœur des chauds après-midi, lorsqu’elle venait se rafraîchir à l’ombre des épinettes aiguës et des peupliers frissonnants, elle donnait un nom spécial aux choses qui l’entouraient selon leur nature et leur caractère. Ensuite, elle se levait et aurait voulu courir à l’infini sur les pelouses jonchées des aiguillettes glissantes des pins. À la saison des labours, elle allait dans les champs respirer jusqu’à l’ivresse l’odeur agreste et forte qui se dégageait de la terre fumante. Lorsque les blés et les avoines blondissaient le sol, elle venait écouter leur murmure dans le silence tumultueux des jours de juillet. Et quand il pleuvait, elle regardait la terre boire et