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les dépaysés

— Je les envoie pour apprendre à lire ; m’est avis que ce n’est pas l’endroit, mon Jean y va depuis trois ans et sait à peine épeler !

Et la brave femme ne dit pas qu’on le gardait à la maison neuf jours sur dix pour faire les commissions, pour travailler, pour tout et pour rien.

— Ce n’est pas tout, continua la femme Lebouc, savez-vous, on enseigne aux petits à casser des fleurs et à en faire des bottes à jeter sur les tables. Ça vous semble bien utile, je suppose. Ma Thérèse m’a dit que, toute la journée, la maîtresse a fait sa pimbêche avec un bouquet de trèfle sur son pupitre.

— Ce sont les maîtresses d’aujourd’hui, dit Madame Laplante, les lèvres pincées, qui passent leur temps à des sottises.

Et les enfants écoutaient cette conversation entre leurs parents, les yeux agrandis, au lieu de faire les devoirs que l’institutrice leur avait donnés pour le lendemain.

Or, ils arrivèrent le matin suivant avec rien de fait. La maîtresse fut un peu surprise, et lorsqu’elle les questionna, ils gardèrent un silence entêté. Enfin, Jean Laplante, le plus grand et le plus déluré de la classe, dit :

— Mamselle, ma mère dit qu’on ne vient pas ici pour regarder les images.

L’institutrice fut si désemparée par tout ce que cette remarque subite comportait de propos malveillants qu’elle perdit pied, et au lieu de punir l’insolent, elle se contenta de dire : « Je ne vous oblige pas à regarder les images ». La grande Thérèse Lebouc murmura assez haut pour être comprise « Pimbêche ! » Elle répétait ce qu’elle avait entendu dire. La petite institutrice feignit de ne pas comprendre.