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LES DÉPAYSÉS

J’entendis un souffle profond. L’âme frôla les lèvres pâles et glissa dans l’éternité.

Ses yeux venaient de s’ouvrir aux perpétuelles clartés : elle me voyait pour la première fois.

Une grande douleur descendit en moi.

Grand’mère Adélaïde sanglotait. Elle me prit la tête avec ses mains et m’embrassa. Je sentis ses larmes couler sur mes joues.

« Regrette ta grand’mère. Elle t’aimait tant ! Je ne pourrai jamais la remplacer. Chère Ursule. »

La mort avait passé. Pendant plusieurs jours il y eut dans la maison un vaste recueillement. On parlait bas.

Grand’mère Ursule n’était pas partie tout-à-fait ; son âme bruissait dans l’ombre des pièces. Son invisible présence nous enveloppait. Elle revivait en grand’mère Adélaïde qui ne s’inspirait plus que d’elle. Lorsque je devenais turbulent ou désobéissant elle me disait toujours :

« Si ta grand’mère était vivante, elle n’aimerait pas cela… Elle voudrait que tu fisses cela… »

* * *

J’étais déjà grand : je dus partir par delà la frontière. Un jour une dépêche m’arriva. Grand-mère Adélaïde n’était plus. Elle avait prononcé mon nom avant de partir. J’étais trop loin ; des larmes silencieuses descendirent dans mon cœur.

Elle les entendit. Ses oreilles s’étaient ouvertes à toutes les divines harmonies.