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LES DÉPAYSÉS

cience d’enfant. C’était intolérable ! Il fallait l’alléger par la confession et le repentir.

« Grand’mère, vous savez bien, ce que j’ai dit hier ? — Eh ! bien, ce n’est pas vrai. »

« Pas vrai ! Si, si, c’est vrai. Je savais bien qu’ils finiraient par le mariage. Tu veux me tromper, petit, c’est mal. »

Et dans ses yeux il y avait tout le bonheur d’une certitude qui s’affirme.

Je compris qu’il y a des illusions plus chères que la vérité.

Je n’avais jamais songé que ces deux grand’mères pussent disparaître un jour. Elles étaient devenues une partie intégrale du foyer et de ma vie. Aujourd’hui encore, je ne peux regarder en arrière sans que leur lointaine image ne s’associe à ma vision.

Un jour d’octobre, gris comme une nostalgie, grand’mère Ursule tomba malade. La paralysie ne permettant plus la prière à ses lèvres, son âme était en oraison.

Un soir, on vint m’éveiller à minuit. J’entendis la pluie qui tombait lentement sur le toit.

Toute la famille était réunie dans la chambre de grand’mère. En entrant, je vis sur une table toute blanche un crucifix dans la morne clarté de deux cierges. La pièce baignait dans une lumière si diaphane qu’on n’eût pu dire si c’était une aube crépusculaire ou un soir matinal.

Grand’mère reposait, immatérielle et blanche, dans les plis fuyants de grands draps neigeux. La respiration comme un rayon opalin faisait battre légèrement les ailes du nez. Les yeux entr’ouverts se perdaient dans une extase d’argent.