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LES DÉPAYSÉS

verrez. »

Ses paupières dociles se fermaient ; un sourire, lointain comme une espérance, remplit de jeunesse les rides de son visage.

« En effet, je te vois… Tu grandis, tu grandis. Une grande clarté est en moi. »

Ce jour-là, grand’mère Ursule fut heureuse d’un bonheur doux et discret.

* * *

Grand’mère Adélaïde n’aimait guère les entretiens. La vie, pour elle, n’était pas une causerie dans le pénombre d’un abat-jour, mais une grande roue qui tourne sans relâche. Active jusqu’à la frénésie, elle s’agitait sans cesse d’une fenêtre à l’autre, en fouillant des yeux l’horizon, les passants et tous les bruits du dehors.

Le nouveau la passionnait. Lorsque ce nouveau prenait la forme d’un nouveau mariage, sa joie était transcendante. Elle, qui n’avait jamais conçu le bonheur en dehors de l’état matrimonial, son allégresse n’avait plus de borne lorsqu’un couple de mariés descendait la rue au son des cloches.

Or, sa plus grande épreuve, disaient les malins, était de ne pouvoir aller à la messe entendre la publication des bans. Chaque dimanche de retour de l’église elle s’adressait à moi.

Un jour, le démon du mensonge souffla en moi et j’improvisai la publication de deux partis que leurs manies bien connues rendaient irréconciliables.

« Tiens, tiens… Je savais bien, dit-elle, qu’ils finiraient par se marier. »

Ses petits yeux brillèrent de bonheur.

Je dus bientôt payer la rançon du remords. Ce mensonge commença à peser sur ma petite cons-