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LES DÉPAYSÉS

« Mais, dites-vous, Adélaïde, cet enfant ne peut passer des journées à jouer. Il est temps de commencer à lui enseigner quelques prières et un peu de lecture, » disait grand’mère Ursule, dans une voix sereine comme le rêve derrière ses yeux clos.

Grand’mère Adélaïde qui ne comprenait pas ou comprenait mal répétait à tue-tête : « Un peu d’écriture ? »

« Non ! de lecture… et d’écriture aussi. » articulait grand’mère Ursule.

Je n’ai pas appris de prières à mes enfants avant qu’ils eussent dix ans ; trop tôt, c’est les dégoûter. Et maintenant, ils sont de bons chrétiens.”

« Je ne partage pas votre manière de voir, Adélaïde, la piété doit grandir avec l’enfant. »

Et, lorsque le soir venait, la même altercation se répétait toujours à savoir laquelle me mettrait au lit. Ma mère avait abdiqué ses droits depuis longtemps. Dans ces interminables discussions, les deux grand’mères ressemblaient à d’adorables enfants.

« Adélaïde, vous voulez le mettre au lit sans lui faire faire sa prière, sous prétexte de lassitude, c’est mal ! Comment voulez-vous donc former cet enfant ? »

« Vous voyez bien qu’il tombe de sommeil ; la prière dans cet état n’a pas de sens. »

« La prière a toujours un sens, Adélaïde ; vous ne devriez pas dire cela si haut ! »

Le débat se continuait. Ma mère ne voulait pas intervenir ; je restais juge. Si la question ne manquait pas de difficulté, la Sagesse de Salomon ne me faisait pas défaut. J’alternais généralement ma décision en embrassant celle que mon choix privait de ce privilège de façon à lui faire comprendre que