Page:Réveillaud - Histoire du Canada et des canadiens français, de la découverte jusqu'à nos jours, 1884.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commerce habituel avec les Anglo-Américains venait à influer sur le langage des Canadiens français au point de lui imposer ses mots et ses tournures de phrases, et si par exemple on en venait à écrire du style de ce législateur canadien (M. de Lotbinière fils) qui traduisait ainsi (si l’on peut appeler traduction cette trahison de sa langue !) un texte de Blackstone :

« Les douze juges d’Angleterre sont seulement attendants à la chambre des lords, et au commencement de chaque parlement, ils reçoivent un writ de summons pour y assister[1]. »

Depuis longtemps l’attention des Français d’Amérique a été attirée sur ce danger, et les Canadiens lettrés ne sont pas les derniers à faire la police de leurs journaux et de leurs publications littéraires, pour en extraire et en dénoncer impitoyablement tous les mots qui méritent l’ostracisme.

« Un sage emploi de mots nouveaux, disait l’abbé Maguire (né à Philadelphie), et de mots anglais, lorsque la langue française n’en fournit pas l’équivalent, est permis, commandé même… Mais, hors ces cas extrêmes, l’emploi de mots et de constructions anglaises est un véritable fléau pour la langue. Déjà cet abus a envahi la portion instruite de notre société et y fait des progrès alarmants ; et pour comble de malheur, on porte quelquefois cette licence dans des écrits que d’ailleurs le génie ne désavouerait pas. Quant à l’emploi de mots anglais, là ou il y a des termes français qui leur répondent, c’est une manie insupportable, c’est le comble du ridicule ; et cependant combien de personnes, même d’éducation, qui tombent dans ce défaut ?… Telle dame ne peut manger sa soupe qu’au barley ; tel monsieur vous prie de lui passer un tumbler pour boire du brandy avec de l’eau ; celui-ci vous demande, sans perdre son sérieux, si ces « patates » sont cuites au steam ; celui-là, si vous avez oublié de payer une visite à madame une telle… Qui ne voit la barbarie de ces expressions, l’impertinence d’un tel langage ?… »

C’est surtout à l’égard des mots d’origine normande ou

  1. Cité par Maximilien Bibaud, dans la brochure intitulée : Le mémorial des vicissitudes et des progrès de la langue française en Canada. Montréal, 1879. Cette curieuse brochure est un trésor où nous avons puisé à pleines mains pour enrichir cette étude.