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qui reçurent officiellement, à cette occasion, le nom d’îles du Salut ; mais à peine les nouveaux venus étaient-ils débarqués a terre, dans un désordre facile à imaginer, que d’autres bâtiments étaient en vue, amenant des milliers de nouveaux colons. En vain, l’intendant Thibaut de Chanvalon, remplaçant le gouverneur (le chevalier Turgot) qui n’avait pas jugé à propos de quitter la France, suppliait-il qu’on arrêtât les envois d’hommes, il était déjà trop tard et ses cris d’alarme n’arrivèrent au ministère qu’après que le mal fut irréparable. Douze mille malheureux : hommes, femmes et enfants (d’aucuns disent quatorze mille) furent ainsi, dans le courant de l’année 1764, jetés sur ces plages torrides, où ils ne trouvaient pas de logements préparés, pas même de tentes. Les fièvres, les épidémies sévirent avec une violence extrême sur ces rassemblements humains. Les émigrants à peine déposés à terre mouraient par centaines[1]. Le désordre fut bientôt tel dans l’administration de la colonie que l’intendant et ses officiers cessèrent de connaître le nombre des individus confiés à leurs soins. Aucun registre n’était plus tenu. Les colons mouraient, et nul ne savait ce que devenait leur héritage. Aux troubles et aux séditions qui marquèrent l’arrivée des premiers colons, furieux de trouver la réalité si peu conforme aux promesses qu’on leur avait faites, succéda bientôt, sous le poids de la commune misère, un morne accablement.

  1. N’est-il pas douloureux de penser que si ce grand effort d’émigration inutile avait été fait dix ans plus tôt, il nous aurait vraisemblablement conservé la Nouvelle France d’Amérique ? Fait cent ans plus tôt, au temps de Colbert, et dirigé vers le Canada, il nous eût assuré l’hégémonie du continent américain.