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Heureus temps de ma liberté, de mon innocence, où je n’avais encore entendu parler, ni dw Magiſtrats qui puniſſent, ni de Princes qui dominent, ni de Seigneurs ſous qui rampent les Paysans ! où je voyais tout l’Univers dans mon pauvre Village, dont les Habitans ſont égaus ét tous parens ! où je n’entendais ce qu’on nous contait des guerres, des Rois, de leur pouvoir, que comme on écoute d’anciénnes hiſtoires du temps-paſſé ! où je n’avais auqu’une idée d’un autre Superieur que notre digne Père ét notre bonne Mère, audeſſus deſquels je ne voyais que Dieu ! heureus temps ! tu es-paſſé pour ne revenir jamais ! Car quand on a-mangé de ce dangereus fruit-de-la-ſcience-du-bién-ét-du-mal, c’en-eſt pour la vie, ét l’on ne ſaurait plus rentrer dans cet heureus paradis-terreſtre de l’ignorance native ! J’aurais-été ſi-heureus, de ne rién ſavoir, de ne rién connaître ; de mener la charrue, ou de cultiver la vigne !… Il n’y-faut plus penſer ! j’ai-vu la Ville ; ét ſi je retournais chés nous, je ſaurais qu’il y-a un pays où je ſuis-meprisé, traité de pacant, de brute ; je n’aurais plus de Saci la haute ét belle idée que j’en-avais, ét je m’y-trouverais mal ! être chantre, marguiller ou ſindic ne me flaterait plûs ! Ah ! j’ai tout perdu ! Infortuné ! je ſuis chaſſé du paradis-terreſtre, ét il y-a un Préjugé flamboyant à la porte, qui m’empêche d’y-pouvoir rentrer !

Mon chèr Pierre, je partirai à midi la