Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nature, que j’entonnai ſans rime ni mesure, avec un plaisir interieur, qu’on nommerait ici jouiſſance-de-ſoi-même, ét que je ne connais plus. Ah ! ſi le bonheur était-là, pour quoi donc l’être-venu chercher ici !

Pendant que je chantais, j’entendis une marche comme d’une Jeunefille : je m’arrêtai, prêtant-l’oreille, ét je l’entrevis derrière les noyérs. Oh ! que dans ces campagnes ſolitaires une Jeunefille eſt jolie ! ét que dans les penſées que javais, elle le parait bién-davantage encore ! Sans-doute c’eſt-là ce qui rendait ſi-belles les Nimfes[1], dont je lis ici que les Anciéns peuplaient les bois ét les campagnes, ét qu’ils regardaient comme des Deeſſes. Elle ſ’eſt-approchée : à ſa tâille legère, je l’ai-prise ou pour Fanchon-Berthiér, ou pour Marie-jeanne-Levêque, ou pour Magdelon-Polvé : c’était Fanchon qui venait des vignes : — Ô Edmond, dit-elle, auriez-vous de l’eau ? j’étrangle la ſoif. — Oui, Fanchon, en-voici dans mon barril ſous les noyérs-. Je m’en-privai pour elle ; car j’avais ſoif auſſi, & je lui tins le barril pendant quelle buvait. Ét quand elle eut-bu, elle était toute-hon-

  1. Les Nimfes étaient de Jeunesfilles, qui, chés Les Anciéns, accompagnaient la Mariée : Comme dans ces occasions, leur mise était toujours élegante, er que d’ailleurs on choisiſſait les plus-belles, le mot de Nimfes fut-employé de preference, à designer les Compagnes de Diane ét de Venus ; c’étaient comme les Filles-d’honneur de nos Reines, ét probablement des Princeſſes de ces temps-là, [Edmond.