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entendre le bruit des Garſons dans la cour, le mugiſſement des Bœufs, ét le henniſſement des Chevaus ; il me-ſemble entendre les Agneaus, ét le chant des Coqs : je treſſaille, je me frotte les ïeus, ét mon bonheur ſe diſſipe avec les reſtes de mon ſommeil. Helas ! je ſuis à la Ville, ét je ne dois me-lever que pour endurer la douleur, le mepris ét le dedain qui me-donnent la jauniſſe-d’ennui ! Perſone n’était plûs né pour être paysan que moi, ét je ne le ſerai pas !… Ce-matin, chèr Pierre, mes larmes coulaient de mes ïeus comme de deux fontaines, en-me rememoriant une veille-de-fêtedieu, où J’étais-alé fener ſeul du ſainfoin dans notre vallée du Vau-de-Lannard : que J’étais-heureus ! tout était pour moi un ſujet-de-plaisir ; le temps demi-ſombre qu’il fesait ; le cri du Cublanc ſolitaire, l’herbe même, l’herbe fleurie des côteaus avait une âme, qui parlait à la miénne !… Le fruit de la ronce ſauvage me ſemblait delicieus ; j’en-mangeais pour me rafraîchir la bouche, ét je beniſſais l’Auteur-de-tout-bién, qui a-donné du fruit à la ronce, pour le ſoulagement de l’Homme. Le ſon de la groſſe-cloche vint alors à-frapper mon oreille, dans ce ſilence profond de la ſolitude, ét mon cœur bondiſſait de l’entendre ; il m’était-avis qu’il ſe-mariait au ramage des Oiseaus, ét qu’il redoublait leur envie-de-chanter. Moi-même je me ſentis inſpirer une himne à la