Page:Rétif de la Bretone - Le Paysan et la paysane pervertis, vol. 1, 1784.djvu/40

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m’éloignent unpeu d’eux : Si tu voyais comme on eſt-ſenſuel ét glouton, à la table du Maître, en-comparaison de chés nous ! c’eſt que chaque Perſone y-conſomme autant de viande que trois de nos Gens : on dirait qu’à la Ville on ne vit que pour manger ; c’eſt un bién-mauvais-exemple ! Et ſi tu entendais les propos qu’on y-tiént ! ét ſi tu voyais les libertés qu’on y-prend avec ces pauvres Filles qui ont-abandonné leurs bons Parens ét leurs Villages, où tout eſt dans l’égalité, pour venir à la Ville paſſer leurs beaus-jours dans la ſervitude ét dans le mepris ! C’eſt des apoſtrofes ſi-dures, des comparaisons ſi-meprisantes ! il ſemble que ces pauvres Filles (ét tous-tant-que-nous-ſommes de Gens-de-village) ſoient audeſſous de l’humanité, ét qu’il n’y-ait pas plûs de pudeur à garder avec elles qu’avec les Animaus, Je ferme les ïeus ſur toutes ces pauvretés ; car elles me feraient trop de honte pour eux. Quoi ! ſi Fanchon-Berthiér, cette Fille ſi-aimable, ſi-douce, ſi-modeſte, ſervait à la Ville, un Faquin en-exigerait des ſervices bas, lui parlerait en-derision ; on lui dirait ét ferait des choses, comme je vois qu’on en-dit ét qu’on voudrait en-faire ici chaque-jour à une bonne ét jolie Jeune-fille qui ſert à la maison !… Ô mon Frère, je ne m’en-ſaurais taire ; quelle difference d’avec chés nous ! Tout le monde y-eſt à la même table : les Garſons-de-travail avec