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adorait ma Mère, malgré la haîne qu’elle lui marquait conſtamment, il ne voulut ſe-venger que de ſon Frère. Il obtint un ordre qui le fit-paſſer aux Îles, éſperant qu’il y-perirait. Le contraire eſt-arrivé : mon veritable Père y a-fait une fortune conſiderable, ét il eſt de-retour depuis un-mois avec ſes richeſſes. Mais j’anticipe ſur l’ordre des faits : je les reprens à ma naiſſance.

Lorſque je vins au monde, je parus un monſtre aux ïeus de mon Père legal ; ét à ma Mère un tresor ſans-prix. Elle voulait me-donner ſon lait, mais ſon Tiran n’eut-garde de le ſouffrir ! il me-mit-en-nourrice à ſon inſu ; car il avait-formé le projet de me-faire diſparaitre quelque-jour, pour me-confondre parmi les Enfans-trouvés : mais il n’en-put apparemment trouver l’occasíon. Je vins à-merveilles : ce qui contrariait fort mon Père putatif ! L’année ſuivante, ma Mère eut une Fille : c’eſt ma Sœur. M.r D’Arras cherit cette Enfant, ét ma Mère ne l’aimait pas moins que moi : elle l’éleva juſqu’à l’âge de douze ans, époque à laquelle cette chère Famme mourut.

Dés qu’elle eut les ïeus fermés, je fus-mis en-noviciat chés les Cordeliers de Troies, avec recommandation aux Pères de faire-naître ma vocation. À ſeize-ans, je prononçai mes vœus, ét au même-inſtant, deux Notaires reçurent ma reclamation ; ce fut le Gardién d’ici, alors mon père-maître, qui me les procura, les ayant-fait-cacher dans la ſacriſtie.