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la douleur de vous perdre ! — Non, mon Ami, ton cœur n’eſt-pas-aſſés-dur ! non… Viéns, mon Amant, viéns, mon aimable Mari -!… Elle ſ’eſt-panchée fur mon ſein. Nous avons-été longtemps dans les bras l’un de l’autre : ſa beauté m’y-retenait ; la douceur de ſes careſſes ramenait le calme dans mon eſprit, en-le-debarraſſant de la cruelle incertitude qui le tenait auparavant dans l’anxiété ; elle rendait à mon cœur ſon allegreſſe, à mes ſens leur vivacité… — Ô Dieu ! quelle felicité je pers ! (me-disais-je à moi-même) : que ſont auprès de Manon toutes les autres Beautés, ſinon d’admirables peintures, de belles ſtatues, qu’il faudrait prier l’Amour d’animer, comme ſa Mére le fit autrefois pour l’heureus Pygmalion[1]… — Serai-je à toi [2] ? (m’a-t-elle dit, après un long ſilence). — Manon ! vous êtes ma divinité ; vous vous jouez de mes irresolutions. — Ah ! je vous ai-touché ! — Vous avez plûs fait. — Bon Jeunehomme ! ton cœur eſt drait, ton âme eſt ſenſible : va, je n’en-abuserai pas. Abusez-en, ſi vous le voulez, Manons ; mes jours, mon honneur, tout eſt à vous. — Alons, mon charmant Ami, courons dire à ma Mère,

  1. Pygmalion était un fameus ſculpteur, qui fit une Statue ſi belle, qu’il en-devint amoureus ; il pria Venus de l’animer, ét ſa prière fut-écoutée : c’eſt un trait de l’anciénne mythologie, que je ſuis-obligé d’étudier pour mon art. [Note d’Edmond.
  2. Il eſt-aisé d’entrervoir ce qui viént de ſe-paſſer, ét que Manon viént d’employer ici le moyén du rayon-de-miel, conſeillé plus-haut par D’Arras.