Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
362
LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

y distinguait, par les inégalités du terrain, les allées des parterres, il y croissait des lilas, quelques pruniers et pommiers devenus sauvages.

Jusque là je m’étais bien gardé de prononcer un mot, mais enfin la curiosité l’emporta, il fallait avoir l’explication de la pierre mystérieuse ; je la demandai. Nous allâmes nous asseoir au pied d’un érable touffu, et l’ami de mon père commença son récit en ces termes :

Vous vous rappelez de l’intendant Bigot, qui gouvernait en Canada dans le siècle dernier. Vous n’ignorez pas ses déprédations, ses vols du trésor public ; vous n’ignorez pas non plus que ses méfaits lui valurent en France la peine d’être pendu en effigie, de par l’ordre de sa Majesté Très-Chrétienne. Mais voici ce que vous ignorez peut-être. L’intendant, comme tous les favoris de l’ancien régime, voulait mener sur la terre vierge de l’Amérique le même train de vie et le même luxe que la noblesse féodale de la vieille Gaule. La révolution n’avait pas encore nivelé, voyez-vous. En conséquence, il se fit construire la maison de campagne, dont vous avez les ruines sous les yeux. C’est ici qu’il venait se distraire des fatigues de sa charge, et qu’il donnait des fêtes somptueuses, auxquelles assistait tout le beau monde de la capitale, sans même en excepter le Gouverneur. Rien ne manquait pour rendre ces fêtes solennelles et le séjour de ce nouveau Versailles agréable. La chasse, ce noble amusement de nos pères, n’occupait pas le dernier rang dans les plaisirs de l’intendant. Il y avait peu de chasseurs plus habiles et plus intrépides : léger comme un sauvage, il parcourait les forêts, escaladait les rochers, et ses compagnons de chasse avaient bien de la peine à le suivre à la poursuite du chevreuil et de l’ours. Aussi expert à tuer qu’à courir, il était rare qu’il manquât son coup, et qu’il n’abattît sa proie. Un jour donc, il se livrait ardemment, avec un petit nombre d’amis, à la poursuite d’un élan. L’animal vigoureux fuyait à travers les bois, sautait les fossés, les ravines ; les chasseurs n’en étaient