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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

tourmenter, car il avait fait des frais considérables ; il fallait payer les maçons, les menuisiers, les tapissiers, les meubliers, et madame ne montrait aucun argent. Enfin, il résolut d’éclaircir un mystère qui l’inquiétait furieusement et devenait un cauchemar continuel. Il appela donc un jour la bonne Marguerite, la fit entrer dans son cabinet et, après avoir toussé, craché, s’être retourné, s’être promené, s’être rassis, et fait tout le manège d’un homme embarrassé, il se décida à lui adresser la parole :

— Marguerite !

— Monsieur ?

— Y-a-t-il longtemps que vous êtes avec votre maîtresse ?

— Oh ! cher monsieur, je la vis naître, j’étais bien jeune alors, et dans ce temps-là on trouvait des gens à qui parler ; mais à présent on ne sait comment va le monde, et les peuples, voyez-vous…

— Au diable les peuples et le monde, peu m’importe ; je veux savoir si vous avez toujours été auprès d’elle ?

— Ah ! monsieur, je ne l’ai jamais quittée ; je me disais : le monde est si méchant, car, voyez-vous, le monde l’a toujours été ; cependant maintenant je crois que les langues sont encore plus envenimées…

— Marguerite ! je vous prie de laisser là vos réflexions et de me dire ce que je vous ai demandé.

— Oui, monsieur, je vous disais donc que je ne l’ai jamais quittée ; car après le malheur qui lui arriva, quels étrangers eussent voulu vivre avec elle ? Les amis, voyez-vous, monsieur, ne résistent pas au malheur de…

— Son malheur ! ah ! grand Dieu ! et monsieur Desnotes se leva précipitamment, parcourut sa chambre à grands pas. — Son malheur ! et il se frappait la tête du poing. — Son malheur ! et il s’arrachait les cheveux. — Son malheur ! eh ! que lui est-il arrivé ?

— Calmez-vous, monsieur, calmez-vous ! vous êtes trop bon pour vous en fâcher et l’on doit plus la plaindre que la blâmer ; car ce sont de ces accidents…