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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

faire entendre. Vingt fois monsieur Desnotes partit dans l’intention de lui proposer le mariage, et vingt fois les réflexions pécuniaires étaient venues l’arrêter dans ses projets ; il eût désiré connaître quelles étaient ses véritables ressources ; mais, trop délicat pour l’interroger à ce sujet ou trop adroit pour découvrir ses craintes, il différa toujours, espérant qu’un hasard quelconque lui apporterait une fois les lumières exactes sur son amie.

Les fréquentes visites de monsieur Desnotes à mademoiselle Lesattret excitaient continuellement aussi le babil des voisines qui étaient parvenues à force d’intrigues, de questions, à savoir que le monsieur qu’elles avaient vu entrer chez elle était un ami de la vieille gouvernante qui était venu lui apporter quelques journaux ; car elle aimait à lire, la vieille Marguerite, et, à l’entendre, elle eût voulu changer les destinées du monde entier. Elle était pour l’arbitraire ; elle prétendait que les peuples étaient trop insolents et que c’étaient des enfants qu’il fallait mieux fouetter que gâter ! elle radotait ; excusez son âge et ses prétentions ; de la cuisine aux marches du trône, chacun veut avoir une opinion ; Marguerite avait la sienne.

Monsieur Desnotes s’était toujours fait remarquer par sa douceur, par sa gaité et l’aménité de ses manières ; mais l’amour (car on ne peut se dissimuler qu’il en ressentait beaucoup pour mademoiselle Lesattret), l’amour avait détruit ce qui jusqu’alors avait fait le charme de sa vie ; il devint brusque, distrait, colère, jaloux ; il passait une partie de son temps à soupirer, enfin un véritable amoureux ! amant d’autant plus ridicule que ses cheveux grisonnants faisaient supposer un être plus grave. On prétend que l’amour rend aimable ; je crois tout le contraire, car je n’ai jamais été plus maussade que lorsque j’aimais, et notez que je fus toujours amoureux.

Un matin donc qu’il était plongé dans des réflexions économico-pécuniarico-matrimoniales, la veille Marguerite entra dans sa chambre aussi précipitamment que sa marche