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me demander si la bague qui était en ma possession portait bien ces mots : amour éternel ? Je répondis affirmativement. Alors il fut décidé que nous viderions cette affaire le jour suivant. Les pistolets furent choisis, et la distance convenue : quinze pas. On envoya chercher des armes. J’écrivis à ma mère quelques mots que je donnai à mon ami pour lui faire parvenir au cas où je succomberais.

Le lendemain était un beau jour d’automne ; le temps était frais ; l’air pur et serein semblait contraster avec la scène qui allait se passer ; le silence qui régnait encore portait mon âme vers la tendresse et la réflexion : je pensais à Émilie…

Aussitôt que nous fûmes prêts, nous partîmes en voiture pour le lieu du rendez-vous qui se trouvait à une demi-lieue du village où nous avions passé la nuit. En route, je ne pouvais m’empêcher de comparer la contenance heureuse des paysans qui se rendaient au marché, avec les sentiments qui agitaient mon âme.

Heureuses créatures ! me disais-je, si vous êtes éloignées des jouissances du monde, vous l’êtes aussi de ses ennuis et de ses désagréments : les plaisirs qui vous occupent ne sont peut-être pas si vifs que ceux des grands, mais aussi vos peines sont moindres, vos plaisirs sont plus purs et plus durables ; vos injures sont oubliées en un jour, vos querelles s’apaisent comme elles se forment : par un mot ! Ce joug que l’on appelle honneur, ne vous enseigne pas à verser le sang de votre frère pour vous défaire d’un rival ou donner une preuve de votre courage !… Je faisais ces pénibles réflexions et cependant j’étais résolu ; ma vie me paraissait peu de chose en comparaison de mon amour. Je pensais à Émilie…

Nous arrivâmes à l’endroit désigné quelques instants avant nos adversaires ; ce qui nous laissa le temps de converser un peu.

— Si je succombe, dis-je à mon ami en lui donnant ma montre, je vous prie de garder ceci comme un souvenir.