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qu’au milieu d’autres beautés ; celle d’Émilie ne parut que relevée par la comparaison, et l’espèce de rivalité qui pouvait exister parmi tant de personnes aimables ne fît que redoubler la grâce de ses manières.

Chacun se disputait à l’envi l’honneur de danser avec elle, chacun l’obtenait ; moi seul je n’osais m’avancer sur un si grand théâtre ; je maudissais le monde ; mon cœur était froissé à la vue d’étrangers pressant la taille élancée d’Émilie ; je la maudissais aussi… car elle paraissait rayonnantes des murmures d’approbation qui se faisaient entendre autour d’elle.

Je remarquai, entr’autres, un officier de hussards qui paraissait briguer et obtenir la faveur de danser avec elle.

Ne pouvant plus longtemps supporter ce spectacle douloureux, je me retirai dans une salle voisine où l’on jouait à l’écarté, et afin de me distraire je jouai gros jeu. Après quelques parties, le hasard amena l’officier (pour le distinguer je le nommerai Bréville) qui se plaça pour jouer contre moi. Pendant le jeu, une bague que j’avais au doigt parut attirer son attention, de manière à le distraire de la partie.

Cette bague Émilie me l’avait donnée comme un gage de sa foi, en me disant :

— Avec elle je te donne mon cœur ; tant que tu la posséderas, tant que tu y attacheras quelque prix, je ne cesserai de t’aimer ; si jamais elle te quitte, je te considérerai comme libre de tout engagement envers moi.

Les mots d’une amante sont sacrés. Combien alors cette bague me fut-elle plus cher que tout ce que je possédais au monde !

Bréville, sous le prétexte de simple curiosité, me demanda la permission de l’examiner.

— Je ne la déplacerai pas, dis-je, encore tout courroucé de son air familier avec Émilie.

— Mais, pourquoi me refuser une demande aussi légère ? Ce serait me faire un grand plaisir que de me la prêter un instant seulement.