Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/290

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tous les climats, cherchait à les entourer de ses armes destructives ; les reproches cachés, les remarques mordantes, parcouraient les rangs de celles que l’envie tourmentait ; et cherchaient à répandre un jour douteux sur leur réputation. Cependant, je ne voulais attacher aucune importance à ces bruits, je les attribuais à la jalousie bien connue qui existe généralement contre tout ce qui est supérieur, soit en beauté, soit en mérite ; je me persuadai facilement que ce qui captive l’attention de la société, y produit aussi le scandale ; que le monde en général déprécie les qualités auxquelles il ne peut atteindre, et qu’il suffit de se distinguer par quelque perfection ou par quelque talent pour se trouver immédiatement en butte aux sarcasmes, aux reproches amers. Eh ! qui l’éprouve davantage que les femmes qui se distinguent dans la société ? Toutes les conversations en font leur sujet ; cette ennemi est d’autant plus dangereux que, second Protée, il prend toutes les formes et vous échappe toujours.

Toutes mes affections se tournèrent peu à peu vers l’aînée de ces deux sœurs et, par un bonheur inconcevable, elle parut partager mes sentiments ; je vis en elle l’être que j’avais toujours rêvé, l’être de ma création ; si aimable, si aimante, je ne pus résister à ses charmes. Il paraît que ma jeunesse, ma naïveté, ou plutôt ma simplicité la touchèrent. Peu de mois après nous être vus pour la première fois, nous nous étions juré une affection mutuelle. Cet amour me paraissait d’une nature toute différente de celui que je m’étais plu à me présenter. Nos âmes paraissaient absorbées dans le même sentiment ; je pensais alors que si notre séparation eût été nécessaire, la mort de tous deux en serait résultée.

Cependant le bonheur ne me semble jamais solide ici-bas ; au milieu de la satisfaction, il s’élève toujours quelque nuage qui rembrunit l’horizon de la vie que l’on croit fixer pour jamais, et qui souvent n’est que le fruit de l’imagination. Je crus remarquer sur le front d’Émilie une tristesse involontaire ; je m’en demandais la cause et mon amour inquiet