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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

1834.

LE POÈTE JEUNE PATRIOTE.

Il dit qu’il a vingt ans. La poudre du collège
Est encore imprégnée à son vieil habit noir.
Du chagrin sur son front, qui vous fait peine à voir,
        A passé l’onde sacrilège.
Une main sur la lyre, il aime à soupirer :
Plaignez-le, bons amis, le désespoir l’atterre ;
Car il n’a pu trouver sur cette froide terre,
        Qu’un bonheur : celui de pleurer.

II pleure sur nous tous, moderne Jérémie ;
Il se plaint au Seigneur de son fatal destin,
Et vous craignez qu’il veuille, en un lieu clandestin,
        Rompre le pacte avec la vie.
Non ; il aime à parler de mort et de gibet,
Mais ne veut pas mourir. Quand il pose sa lyre,
Il vous dit : « De mes vers que penses-tu, messire ?
        Viens avec moi prendre un sorbet. »

Et vous allez, disant : « Le poète est en joie ;
Il partage avec nous la manne de son ciel :
Mon Dieu, prodiguez-lui vos fleurs et votre miel,
        Pour qu’il ne tombe dans la voie. »
Puis vous vous étonnez de le voir, eu jurant,
Descendre de l’Éden, sans parfum d’harmonie :
Poète, il se nourrit d’amour et d’ambroisie ;
Homme, il s’endette au restaurant.

Car il apprit par cœur le rôle qu’il nous joue ;
Dans la coulisse il rit, chante refrains joyeux,
Et lorsque sur la scène il apparaît aux yeux,
        Il prend soin de blanchir sa joue.
Cet imberbe Antony caresse son poignard,
Blasphème le Seigneur, trouve la vie amère :
................
        N’importe, il se dira bâtard !

Oh ! c’est un homme à part qu’un rimeur patriote,
Il rêve moyen-âge, et tournois et castel ;
Il rêve bachelette et gentil damoisel,
        Et le règne sans-culotte.