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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.

1833.

L’ÉTRANGER.

 
Depuis l’aurore, assis sur le rivage,
En vain j’attends, l’esquif ne revient pas :
Courez, vents frais, volez sur son passage,
De ma patrie il laisse les climats.
Mais déjà de la nuit le voile sombre
Cache à mes yeux les rives et les flots.
Pauvre étranger, attendre encor dans l’ombre :
À vos ennuis apportez du repos.

La nuit se passe et bien des jours encore ;
Le nautonnier n’écoute plus sa voix.
Dans ma patrie aurait-il vu l’aurore
Dorer les monts, les fleuves et les bois ?
Le toit champêtre où résonnaient ma lyre
De mes chansons nourrit-il les échos ?
Pauvre étranger, bien loin est le navire :
À vos ennuis apportez du repos.

Il ne vient point des bords qui m’ont vu naître,
Où si souvent je chantais nos exploits ;
Il n’a point vu Carouge où pour un maître
Tombaient nos fils, que trahissaient des rois.
D’un joug à l’autre, hélas ! on les transporte ;
Prenez ces fers, dit-on à des héros !
Pauvre étranger, leur bras vainqueur les porte :
À vos ennuis apportez du repos.

Déjà les champs où reposent nos pères,
À d’autres mains ont cédé leurs moissons ;
Et sous nos toits des langues étrangères
Chassent l’écho de nos douces chansons.
Un orphelin quête un pain d’indigence
Au seuil sacré… trahi par ses sanglots !
Pauvre étranger, j’y fêtai sa naissance :
À vos ennuis apportez du repos.

Des inconnus saisissent sa balance,
Et de Thémis ils usurpent les droits.
Au temple saint j’ai vu briller la lance
Qui chasse au loin tous les arts dans les bois.