Page:Répertoire national ou Recueil de littérature canadienne, compilé par J Huston, vol 1, 1848.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
92
LE RÉPERTOIRE NATIONAL.


Qui, suivant les sentiers de la droite nature,
A mis sa conscience à l’abri de l’injure ;
Qui, méprisant enfin le courroux des pervers,
Ose dire aux humains leurs torts et leurs travers.

Lecteur, depuis six jours, je travaille et je veille,
Non, pour de sons moëlleux chatouiller ton oreille,
Ou chanter en vers doux de douces voluptés,
Mais pour dire en vers durs de dures vérités.
Ces rustiques beautés qu’étale la nature,
Ce ruisseau qui serpente, et bouillonne et murmure,
Ces myrtes, ces lauriers, ces pampres toujours verts,
Et ces saules pleureurs, et ces cyprès amers ;
D’un bosquet transparent la fraîcheur et l’ombrage,
L’haleine du zéphyr, et le tendre ramage
Des habitants de l’air, et le cristal des eaux,
Furent cent et cent fois chantés sur les pipeaux.
Ni les soupirs de Pan, ni les pleurs des Pléiades,
Ni les nymphes des bois, ni les tendres Naïades
Ne seront de mes vers le thème et le sujet :
Je les ferai rouler sur un plus grave objet.
Ma muse ignorera ces nobles épithètes
Ces grands mots si communs chez tous nos grands poètes :
Me bornant à parler et raison et bon-sens,
Je saurai me passer de ces vains ornemens.
Non, je ne serai point de ces auteurs frivoles,
Qui mesurent les sons et pèsent les paroles.
Malheur à tout rimeur qui de la sorte écrit
Au pays canadien, où l’on n’a pas l’esprit
Tourné, si je m’en crois, du côté des trois Grâces ;
Où Lafare et Chamlieu vont après les Garasses.
Est-ce par de beaux mots qui rendent un doux son,
Que l’on peut mettre ici les gens à la raison ?
Non, il y faut frapper et d’estoc et de taille ;
Être, non bel esprit, mais sergent de bataille.
« Si vous avez dessein de cueillir quelque fruit,
Parlez, criez, tonnez, faites beaucoup de bruit :
Surtout n’ayez jamais recours à la prière ;
Pour remuer les gens, il faut être en colère.
Peut-être vous craindrez de passer pour bavard ?
Non, non, parlez, vous dis-je, un langage poissard ;
Prenez l’air, et le ton et la voix d’un corsaire. »
Me disait, l’autre jour, un homme octogénaire,