faient les esprits, s’animaient les passions, et brillaient ceux qui se livraient à l’enseignement et à la dispute; sur ces questions se partageaient les professeurs, les lettrés, les écoles, et quelquefois l’Eglise et le public.
A l’époque où le jeune Pierre se mit à courir le pays pour chercher les aventures philosophiques, un homme s’était fait dans les écoles une grande renommée. C’était Jean Roscelin, né comme lui en Bretagne, et chanoine de Compiègne. Ce maître avait trouvé assez répandue cette doctrine, qui n’était pas cependant toujours explicite, que les noms appelés plus tard abstraits par les grammairiens désignent, pour le plus grand nombre, des réalités, tout comme les noms des choses individuelles, et que ces réalités, pour être inacessibles à nos perceptions immédiates, n’en sont pas moins les objets sérieux et substantiels d’une véritable science. Il combattit cette idée qu’il contraignit à se développer et à s’éclaircir; et il soutint que tous les noms abstraits, c’est-à-dire tous les noms des choses qui ne sont pas des substances individuelles, que par conséquent les noms des espèces et des genres qui n’existent point hors des individus qui les composent, et les noms des qualités et des parties qui ne peuvent être isolées des sujets ou des touts auxquels on les rattache, les unes sans disparaître, les autres sans cesser d’être des parties, n’étaient en effet que des noms. Puisqu’ils n’étaient pas les désignations de réalités distinctes et représentables, ils ne pouvaient être, selon lui, que des produits ou des éléments du langage, des mots, des sons, des souffles de la voix,