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64 TEL QU'EN SONGE

Vous dont la Vie ardente était selon sa loi, Vous qui fûtes ce que je fus et mieux que moi, Vous pour qui la forêt est de l’ombre ample et fraîche Sans qu’un fantôme pâle à jamais vous y cherche, Et qui ne cachiez pas, sous l’étoffe et l’armure, Le regret mal fermé de quelque plaie obscure, Et qui ne traîniez pas le poids désespéré D’un lourd manteau de songe à demi déchiré.

Quand vos pas seront morts comme mourra ma voix, Avec l’adieu suprême enfin qui vous conjure D’oublier au départ les chemins de ce bois Et le château désert où mon âge se mûre, Il ne restera plus, de qui brandit le glaive Injurieux parmi la plaine et sur la grève Où ses pas au couchant saignent peut-être encor, Qu’outre quelque renom qu’amoindrira la Mort QUelqu’un qui vient, un soir, vers le château qui tombe Pierre à pierre ainsi que nos jours vont à la tombe, Voir, s’il ne reste rien dans le Songe et la Nuit De ce qui fut un autre et de ce qui fut lui, Et confronte, au seuil que la ruine encombre. Son Ame, face à face, hélas, avec son ombre.

Les Frères d’Armes disparaissent dans la forêt. Le vent du soir frissonne et à travers les arbres, au ciel, un peu assombri auparavant, les derniers éclats du couchant rayonnent.