Page:Régnier - Portraits et Souvenirs, 1913.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

10 PORTRAITS ET SOUVENIRS

quand il y aurait passé ». Quoi qu’il en soit, Laclos, sans les Liaisons, ne serait pas le Laclos qui passionne encore aujourd’hui notre curiosité. Mêlé d’assez près aux événements politiques et militaires de son temps, il n’y a marqué sa place d’une manière ni très éclatante ni très mémorable. Son nom de soldat n’est lié à aucun nom de victoire et demeure indistinct dans le fracas des gloires républicaines. Il relève moins des historiens que des biographes. Cependant Laclos est célèbre.

Sa célébrité, il faut le dire, a je ne sais quoi de trouble et de suspect. On sait pourtant que Laclos fut honnête homme. D’où lui peuvent donc venir ces rigueurs posthumes, sinon du fâcheux préjugé par lequel on rend l’écrivain d’imagination responsable du sujet de son œuvre, en l’identifiant, involontairement peut-être, aux personnages de ses fictions. C’est ainsi que M. de Valmont a fait tort à M. de Laclos, et que la postérité s’est montrée envers ce dernier à la fois injuste et favorable.

En effet, si elle a distingué les Liaisons dangereuses du fatras des récits libertins de l’époque, elle s’est souvenue trop longtemps que ce livre admirable avait pu être, à son heure, un mauvais livre, car, tant que les mœurs qu’il décrivait existaient encore, il pouvait contribuer à en répandre l’imitation. Il a donc fallu longtemps avant que l’ouvrage hardi et profond — que la reine Marie-An-