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LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS


ÉPITAPHE PASTORALE


Il a conduit jadis, sur le chemin qui mène
À la prairie en fleurs où chante une fontaine
Fraîche entre les joncs verts que reflète son eau,
Les grands bœufs indolents et le rude taureau
Qui paissent l’herbe haute et meuglent vers le soir,
Et, par l’âpre sentier que borde le houx noir,
Il a guidé, parmi l’odeur des toisons rousses,
Ses chèvres vives, ses boucs et ses brebis douces
Qui bêlaient en marchant, une à une, à la file,
Patientes comme des âmes qu’on exile.
Le fouet et l’aiguillon, la serpe et la charrue,
Tour à tour, ont durci ses mains pauvres et nues
Que rougissait le sang de la grappe pressée.
Grave et sobre, au milieu des rustiques pensées,
Il a vécu son heure et vieilli solitaire.
Son pas est lourd ; son dos se courbe vers la terre ;
Il surveille la meule et visite les ruches,
Car sa main s’engourdit et son pied las trébuche.