Page:Régnier - La Cité des eaux, 15e éd.djvu/141

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Et voici, par sa fente invisible et soudaine,
Que, sournoise d’abord et perceptible à peine,
Une odeur de forêt, d’eau vive et d’herbe chaude,
Pénètre, se répand, rampe, circule et rôde
Et, plus forte, plus ample et plus universelle,
S’accroît, se multiplie et m’apporte avec elle
Les diverses senteurs que la terre sacrée,
Forestière, rustique, aride ou labourée,
Mêle au vent de la nuit, du soir ou de l’aurore ;
Et bientôt, peu à peu, toute l’ombre est sonore.
Elle bourdonne ainsi qu’une ruche éveillée
Qui murmure au soleil à travers la feuillée,
Après la pluie oblique et l’averse pesante ;
Voici que maintenant toute l’ombre est vivante
Et que la nuit bourgeonne et la ténèbre pousse.
Le siège où je m’appuie est tout velu de mousse.
Je me penche : de l’herbe a verdi sur le marbre ;
La colonne soudain végète, et c’est un arbre
Qui jusqu’à moi étend sa branche. Je me sens
Environné partout de souffles frémissants
Qui me chauffent la nuque et me brûlent la joue.
L’ombre hennit ; l’ombre danse ; l’ombre s’ébroue,
Palpite, naît, fleurit, germe, frémit, éclôt.
Je n’ai pas peur. Le vent chante dans les roseaux ;