Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenance de mon passé. Des gardes se tenaient à ma porte ; les laquais encombraient l’antichambre ; des femmes parées s’assirent à ma table ; des hommes curieux et doctes couchèrent sous mon toit en pèlerinage vers l’ancienne idole, exemplaire de leurs ambitions. L’étiquette seule articulait l’armature de mon apparence et je condescendais à rester le simulacre du héros de tant d’histoires, de combats, de succès et d’amour.

On a pu s’imaginer que, vieillard orgueilleux et ressasseur, je revoyais, avec l’apparat de ma gloire, les faits de son origine, que ma cervelle ruminait des plans de bataille ou des astuces de diplomaties, et quand, sur le sable uni des allées, ma canne traçait des entrelacs et des signes, on croyait respectueusement que ma mémoire de maniaque se distrayait à simuler des ordres de manœuvres ou des chiffres de correspondances.

Ah, mon fils, je ne pensais ni aux guerres, ni aux affaires, ni aux princesses fardées dans les kiosques de miroirs. Les architectures mentales où mes efforts s’évertuèrent en colonnes, en dômes et en labyrinthes croulèrent au fond de mon souvenir. Le palais, devenu catacombes,