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longues promenades dans Paris. Elle me conduisit aux Champs-Elysées et sur les Boulevards. Mais les Boulevards ne m’intéressaient qu’à demi. Un jour, elle dit : « Nous pourrions aller aux Tuileries. »

C’était un après-midi de printemps. Il faisait beau. Nous traversâmes le pont des Saints-Pères et nous suivîmes le quai. Une fois dans le jardin, je me mis à courir. Tout à coup, je m’arrêtai, plein de joie et d’admiration. Devant moi, le bassin s’arrondissait, entouré de nombreux enfants et couvert de bateaux. De ces bateaux, il y en avait de toutes les espèces, de simples bachots ou d’élégants petits navires. Il y avait des goélettes et des sloops, des barques de pêche et des péniches. Il y avait même un « vapeur » que l’on remontait avec une clef et qui battait l’eau de ses roues à aubes. Un vent léger soufflait et gonflait les voiles minuscules. Les bateaux partaient d’un bord et abordaient à l’autre, les uns heureusement, les autres après s’être fait mouiller par le jet d’eau. Certains demeuraient en panne ou s’accrochaient à la cabane des cygnes, et pour les ramener à la rive, on les harponnait avec des ancres de plomb lancées au bout d’une ficelle et retenues par le gréement.

Ce spectacle m’enchanta. Soudain, Paris ne me paraissait plus une ville sans intérêt. Elle en avait maintenant un pour moi. De toute la journée, ma mère ne put m’arracher à ces lieux enchanteurs. Ce ne fut que lorsque le dernier batelet eut quitté l’eau qu’elle parvint à m’emmener. Toute la soirée je l’employai à remettre en état une vieille barque