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quelle eût été ma question. J’aurais voulu savoir de lui des nouvelles d’Antoine Hurtin. Ce qu’il m’a dit de sa santé m’est revenu à l’esprit à plusieurs reprises. L’idée qu’il est malade, très malade peut-être, me trouble et me préoccupe.

Certes, j’ai eu à me plaindre d’Antoine. Ses procédés à mon égard furent mauvais et presque déloyaux, mais le temps a passé sur ces souvenirs, et je ne puis oublier qu’Antoine fut mon ami, que nous nous sommes connus presque enfants, que nous fûmes camarades de collège et compagnons de jeunesse, que nous eûmes de l’affection l’un pour l’autre. Et puis, je ne peux m’empêcher de penser à ses qualités de joyeux viveur et de bon vivant. Hurtin malade, ces deux mots ne vont guère ensemble, lui qui donnait si bien l’impression de l’insouciance et de la vie, qui semblait si persuadé que les choses agréables de l’existence étaient faites spécialement pour lui : l’argent, les plaisirs, la table, les femmes ! Cela me produit un singulier effet de penser qu’à présent il s’inquiète et qu’il souffre. D’ailleurs, le docteur Tullier avait l’air ennuyé, l’autre jour, en me parlant de lui, malgré son habitude de ne rien laisser voir de ce qu’il présage. Il est certain qu’Antoine a terriblement abusé de tout. Jamais il n’a su maîtriser ses instincts, dominer ses passions. Jamais il ne songea à ménager ses forces. Aussi a-t-il fait beaucoup de sottises et il est probable qu’il les paye aujourd’hui.

Tout en marchant et en réfléchissant à ces choses, je suis entré dans le jardin des Tuileries. Il