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ciant les Dieux de ne pas la lui avoir rendue trop pesante. Oui, ne suis-je pas tout simplement un brave garçon comme tant d’autres et même presque un vieux garçon, puisque je viens d’avoir trente-trois ans ? D’ailleurs, je ne me plains pas de cette situation. Si elle m’astreint à quelques corvées, il en est qu’elle m’épargne, et si elle implique certaines visites à rendre, elle m’évite du moins d’en recevoir. Le premier de l’an se passe tranquillement dans mon modeste logis de la rue de la Baume. La sonnette, ce jour-là, n’y retentit pas au poing naïvement ganté des petits neveux ou des jeunes cousins, venus m’apporter leurs vœux indifférents ou leurs remerciements hypocrites pour une santé dont ils s’inquiètent fort peu ou pour un cadeau qui n’est point à leur goût.

Et, pourtant, ne disons pas trop de mal des visites ! Sans Pompeo Neroli, les bibelots obligatoires seraient demeurés à la devanture du marchand et les bonbons réglementaires seraient restés dans l’officine du confiseur. Les cartes n’auraient pas pris leur vol hors du portefeuille, et leurs destinataires n’auraient pas le plaisir d’y lire, une fois de plus, sur un bristol corné, le nom de Julien Delbray. Et, de cet oubli, Julien Delbray n’aurait nulle excuse valable, aucune occupation sérieuse ne le soustrayant à l’obligation d’une coutume séculaire. Comme il ne remplit aucune fonction et n’exerce aucun métier, il n’a pas la ressource d’invoquer quelque affaire absorbante ou quelque travail urgent. Bien plus, Julien Delbray, en ce moment,