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Or, c’était justement cet état de dépendance où je me tenais vis-à-vis d’elle qui inquiétait ma mère depuis plusieurs années. Ce qui, durant mon extrême jeunesse, lui avait semblé chez moi une heureuse docilité de nature, finissait par lui paraître un grave défaut de caractère. Elle retrouvait dans le mien certaines ressemblances fâcheuses avec celui de mon père. Elle déplorait mon manque d’initiative. Peu à peu, elle sentait se développer en moi cette incertitude, cette indécision qui, portées à un point maladif chez mon père, avaient empoisonné sa vie. En vain ma mère avait cherché à secouer en moi cette apathie, mais sans guère y réussir ; l’habitude en était déjà prise et, après de sincères efforts pour m’en corriger, j’y retombais avec une décourageante facilité. En vain elle me donnait toute liberté d’agir à ma guise, je ne montrais aucun goût d’en profiter.

La maladie de Mme  de Préjary avait apporté une solution soudaine à un état de choses auquel ma mère ne voyait pas de remède. Bien qu’il en coûtât à son cœur, sa raison la décida. Pour elle, mon intérêt passait avant tout. En renonçant au séjour de Paris, en se fixant désormais à Clessy-le-Grandval, en s’éloignant de moi volontairement, elle accomplissait un devoir douloureux, mais dont elle espérait les meilleurs effets. Elle rompait ainsi les liens trop étroits qui unissaient ma volonté à la sienne. Elle m’obligeait à vivre pour moi-même et par moi-même. J’aurais désormais à agir sans pouvoir immédiatement recourir à son conseil. Il me faudrait