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remarquer un peu de tristesse. Peut-être est-elle due à l’extrême monotonie de l’existence que mène ma mère dans cette petite ville de province où elle a voulu vivre ? Les mois d’hiver ne sont pas gais à Clessy-le-Grandval. Et puis, intelligente et fine comme elle est, ma mère, sans qu’elle s’en rende compte, manque de société dans ce trou perdu. Je sais bien qu’elle aime tendrement sa vieille amie, Mme  de Préjary, qu’elle soigne avec le plus tendre dévouement. Je sais bien que Clessy-le-Grandval est sa ville natale et que ma mère retrouve là tous ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, qu’elle a une vie intérieure qui l’occupe, qu’elle a pour se distraire les travaux de broderie où elle excelle, mais, malgré tout, les journées doivent lui paraître quelquefois longues, dans cette morose et solitaire maison qu’elle a toujours connue, et où elle est revenue s’abriter.

Cependant, ce n’est pas dans celle-là qu’elle est née. C’est dans une autre qui appartenait à mon grand-père et qui a été vendue, puis démolie. À la place, on a élevé une horrible et prétentieuse bâtisse, de style moderne, qui appartient à M. Le Bazureur, homme de progrès, et maire de Clessy-le-Grandval. Par contre, la demeure de Mme  de Préjary est restée telle qu’elle était du temps où ma mère y passait la plus grande partie de ses journées, lorsqu’elle était jeune fille, en compagnie de Cécile de Préjary, sa compagne préférée, morte à vingt ans, dont ma mère m’a si souvent parlé et dont elle me montrait, quand j’étais enfant, de si char-