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tent ? Comme nous sommes, maintenant, énervés et veules ! C’est avec des paroles détournées, avec des ruses timides que nous tentons la vieille aventure d’amour. Nous usons de prévenances, de persuasion. Et, quand une femme désirée se refuse et se dérobe, quels moyens avons-nous de la réduire ? D’elle, nous acceptons tout, ses feintes, ses fuites, ses trahisons. Nous respectons ses défenses, et, qu’elle nous échappe et nous raille, nous nous contentons de gémir et de larmoyer ! De même que la violence, la vengeance a fait son temps. La passion la plus audacieuse s’arrête aux actes. Nous imaginons bien encore ce que nous ferions en telles circonstances, mais nous sommes incapables d’agir conformément à nos imaginations. Bien peu auraient osé ce qu’a osé ce petit Neroli envers Nina la Siennoise. Et, encore, Neroli est un homme du peuple, mais, parmi nous, civilisés, ces procédés populaires n’ont plus cours.

Je songe à cela, tout en regardant les brunes filles d’Espagne mimer la danse ardente et hardie où elles évoquent en allégorie mouvante les âpres feux du désir. Ma belle voisine, elle aussi, y semble prendre un vif intérêt. Elle a posé le coude de son bras replié sur le dossier de la chaise. Elle suit avec attention les figures expressives de la danse. C’est un danseur maintenant, qui occupe l’estrade, un petit homme trapu et frénétique, qui se démène avec une extraordinaire énergie. Il est vêtu d’une courte veste noire et porte un épouvantable pantalon de velours vert scarabée, mais il met dans son