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Je suis au lit, à peine réveillé, car le docteur est matinal. À soixante-cinq ans, il demeure d’une admirable activité. Il a une vaste clientèle, gagne deux cent mille francs par an, dont la plus grande partie passe à des fondations médicales. Généreux et charitable, il estime que sa fortune personnelle, qui est considérable, doit suffire à ses besoins. Ses gains appartiennent aux pauvres et aux déshérités. C’est un bel et gros homme, à barbe grise, grand chasseur et bon vivant. Ma mère l’appela en consultation dans une maladie grave que j’eus vers quinze ans, sur le conseil de Mme Bruvannes, la tante d’Antoine Hurtin. Depuis lors, il est resté notre médecin et est devenu notre ami. Il s’est assis sur le bord de mon lit et me considère de son œil aigu de connaisseur d’hommes.

— Que me vaut l’honneur de votre visite, cher docteur ?

Telle est ma question. Tullier me toise amicalement :

— Le plaisir de te voir, d’abord, puisque tu ne te montres plus. Car tu n’es pas très assidu aux lundis de madame Tullier, soit dit sans reproches, et ce en quoi tu as tort. Elle te trouve charmant. Ensuite, une lettre de ta mère. Elle me conjure de t’examiner de fond en comble. Elle m’écrit que, depuis quelque temps, tu lui parais mélancolique, que tu dois avoir quelque chagrin. Voyons, mon cher Julien, qu’y a-t-il de vrai là-dedans ?

Je réponds au docteur Tullier que je me porte très suffisamment bien, que je n’ai aucune peine