Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il prenait les mains de ma mère et les baisait longuement. Parfois, aussi, notre retour semblait le laisser tout à fait indifférent. Il demeurait absorbé dans ses pensées… Ce fut un soir, où nous rentrions assez tard, que je l’entendis pour la dernière fois parler de la Lambarde. Habituellement, il n’aimait pas à prononcer ce nom, mais le père Bouvry était venu lui annoncer, durant notre absence, qu’un grand pan de mur du jardin s’était écroulé. Mon père semblait fort ému de cet accident. Il était devenu de plus en plus nerveux. La moindre chose le troublait. Ma mère essaya de le rassurer. Il fallait tout de suite ordonner les travaux indispensables. Mon père secoua la tête tristement. Dans la nuit, il fut souffrant et l’on dut appeler le médecin.

Quelques jours après, mon père se trouva mieux. Un après-midi, même, il voulut sortir avec nous. Je me souviens que nous devions aller à Guérande. J’étais invité à goûter chez les Kérambel. On m’y laissa. Quand mon père et ma mère revinrent m’y chercher, je remarquai que ma mère avait les yeux rouges. Elle avait pleuré. Dans la voiture, elle demeura silencieuse. Mon père, au contraire, semblait presque joyeux. Comme nous approchions du Pouliguen, il dit à ma mère : « Il ne faut pas, Berthe, te faire du chagrin. Je suis très content que nos affaires soient en règle. Maître Dorzat a été parfait. » Mon père était allé faire son testament… Huit jours après, il mourut presque subitement, emporté par la maladie de cœur dont il souffrait. Je l’ai vu étendu sur son