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au large, quand nous allions, avec ma mère, nous promener à la pointe de Pen-Château, sur la grande côte du Croisic ou sur les dunes de la Baule. J’aimais à les regarder, proches ou lointaines, réunies ou dispersées, sortant du port ou y rentrant avec la marée. J’aimais à assister au déchargement des poissons. J’étais plein d’admiration pour les matelots et plein d’envie pour les mousses. Comme eux, j’aurais souhaité d’aller sur mer. Tout ce qui se rapportait à la marine me semblait extraordinairement amusant.

Du reste, je pense encore ainsi et je garde, de mon enfance, un vif amour de la mer. Durant nos années de séjour au Pouliguen, mon principal jeu fut celui des bateaux. Mes premières lectures, mes préférées, furent des lectures de voyages maritimes. Je me suis demandé souvent pourquoi je n’ai jamais songé à me faire marin ? À cela, je n’ai trouvé nulle réponse. Il en est sur ce point comme sur bien des événements de ma vie. Ils ont échappé à mon contrôle. Je me suis laissé diriger par des circonstances imperceptibles, par des influences insaisissables qui ont agi sur ma destinée, en sourdine, sans faire de bruit, sans laisser de traces. Ma vie s’est faite ainsi, secrètement, petit à petit, sans que je fusse averti, autrement que par une vague anxiété, de la direction qu’elle prenait. Cependant, cette méconnaissance de moi-même ne vient nullement d’un manque de réflexion. Au contraire, j’ai toujours beaucoup scruté mes sentiments et mes pensées. Malgré cela, je n’ai guère eu d’oc-