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Notre dîner s’est fort bien passé et nous avons, sans trop de peine, atteint le moment du café et des cigares. Ce moment, c’est celui où Yves de Kérambel « parle femmes ».

Yves de Kérambel les prise fort et ne s’en défend guère. D’ailleurs, les amours du brave Yves n’ont rien de sentimental et de romanesque. Je crois qu’il n’a jamais connu de l’amour autre chose que ses satisfactions matérielles et, ces satisfactions, il les prend où il les trouve, c’est-à-dire autour de lui. Yves de Kérambel a eu dans sa vie beaucoup de petites bonnes bretonnes, beaucoup de paludières du Bourg de Batz et du Croisic, car il ne dédaigne pas ce que l’on nomme vulgairement là-bas « les culs salés ». Pourtant, Yves de Kérambel n’est nullement de goûts crapuleux. Je crois plutôt que c’est un timide qui préfère les plaisirs faciles aux intrigues plus relevées, parce que sa timidité s’y trouve à l’aise. Quand il vient à Paris, ces principes prudents le conduisent, chacun des trois soirs qu’il passe dans la capitale, vers une maison hospitalière du quartier Gaillon. Pour rien au monde, Yves de Kérambel ne manquerait à cette visite traditionnelle. Les divertissements qu’il trouve dans ces lieux discrets, quoique publics, lui suffisent, et les Dames du Logis reçoivent immanquablement son triple hommage. Aussi, assez tôt dans la soirée, Yves de Kérambel m’a-t-il demandé la permission de se retirer, sans me cacher où il allait. Il m’a même offert de l’accompagner. J’ai décliné son offre et je l’ai laissé partir sans regret. À chacun son plaisir