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retombe. Les jets d’eau des bassins tarissent. Maintenant, je pourrais me lever, m’enfuir, rentrer chez moi, mais je reste là et je sens que j’y resterai toujours ; que, demain, je serai encore à cette même place, sur ce même fauteuil ; que j’éprouverai les mêmes angoisses et qu’éternellement, avec cette même flûte de cristal, je ferai, dans ce château magique, renaître une vie passagère, tandis qu’au dehors, parmi les jets d’eau du parc, le gros éléphant à housse écarlate agitera sa trompe moqueuse.


13 janvier. — J’ai relu ce que j’ai écrit hier soir sur le cahier de parchemin que m’a donné Pompeo Neroli. Quand j’ai pris la résolution de m’en servir pour tenir une sorte de journal, je ne pensais pas que je n’aurais à y noter que de si pauvres événements. Certes, je savais bien que je n’y relaterais pas de grandes aventures, mais je ne croyais pas que mon existence fût dénuée d’intérêt au point qu’un rêve absurde m’ait semblé mériter d’être rapporté minutieusement. Oui, j’espérais mieux du cahier de Neroli, j’espérais qu’il m’aiderait à m’éclairer sur moi-même. Hélas ! il est bien difficile de connaître le fond de ses désirs ; et puis, qu’y gagnerait-on, en somme ?… Mieux vaut peut-être vivre sans savoir exactement ce que l’on souhaite, ce que l’on attend. Il y a pourtant des gens qui le savent et qui n’en souffrent pas. Ainsi pense mon ami Yves