Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fait exprès d’y rassembler tout ce qu’a produit de plus tarabiscoté le style rocaille. Ce ne sont que miroirs aux cadres contournés, appliques baroques, fauteuils aux volutes extravagantes, consoles, vitrines, étagères surchargées de groupes et de personnages en porcelaine de Saxe, de Meissen et de Frankenthal. La plupart de ces objets viennent d’Allemagne. On dirait que Feller a hérité de quelque petite Margravine nabote, car presque tous ces meubles sont de dimensions minuscules. C’est le mobilier du nain Bébé, et ce qui rend cet assemblage encore plus hétéroclite, ce sont la haute taille et la corpulence de Feller. Rien n’y est en rapport avec sa prestance, et il est vraiment comique de voir ce grand et gros homme, sous un plafond trop bas, en des pièces trop exiguës, s’asseoir sur des fauteuils de poupée ou manier de ses fortes mains les magots peinturlurés et les bergères de pâte tendre.

Dans ce décor falot, Feller promène les longues basques de sa redingote, tandis qu’on lui voudrait voir une de ces bonnes robes de chambre flottantes, bordées de fourrure et s’ouvrant sur des culottes courtes, des bas roulés et des souliers à boucles, comme en montrent les amateurs dans les estampes du xviiie siècle. De plus, au lieu des larges bésicles de corne qui lui siéraient si bien, Feller porte de fines lunettes qui, avec leur imperceptible monture d’acier, ont l’air d’instruments de précision.

C’est dans son petit salon rose que m’a reçu aujourd’hui Feller, étendu à demi sur une otto-